jeudi 18 mars 2021

La commune de Paris vue par André Hellé.

André Hellé, de son vrai nom, André Laclôtre, nait le 26 mars 1871, au n°9 rue de Belleville, le jour de la tenue des élections. Dans ses souvenirs d'un petit garçon publié des années plus tard, il précisera au sujet de sa naissance "Deux jours après la commune de Paris était proclamée.

Extrait de naissance d'André Hellé- Archives de Paris.

Dans cet ouvrage paru en 1942 chez Berger-Levrault et entière consultable sur le site de la BNF, André Hellé témoigne du contexte de sa naissance, pendant la Commune de Paris.

MA NAISSANCE


Je suis né à Paris un dimanche. Il faisait ce jour-là très beau temps, un vrai ciel de printemps. C'était le 26 mars 1871[1] 1. Deux jours après la Commune était proclamée.

Ses soldats, qu'on appelait les fédérés, allaient se battre contre l'armée, qui était à Versailles[2]. Les bataillons du colonel Flourens[3] défilaient rue de Belleville devant la maison habitée par mes grands-parents. A l'angle de la rue de Belleville et des boulevards extérieurs, une barricade fut élevée plus tard et un canon mis en batterie.

Mes parents habitaient Boissy-Saint-Léger[4] 3 ; mon père était pharmacien ; ma mère et lui étaient venus se réfugier six mois auparavant chez les parents de ma mère lorsque les Prussiens approchaient de Paris.

Ils s'étaient mariés quelques semaines avant la guerre, au mois de juin 1870; leur repas de noces et le bal avaient eu lieu dans un grand établissement de Paris, le restaurant Lemardelay[5].

Pendant le siège de Paris par les Prussiens5[6], personne ne pouvait plus entrer dans la ville; on ne recevait plus de vivres; les pigeons- voyageurs n'apportaient que des dépêches et des lettres. Ainsi on n'avait rien pour se nourrir.

Ma mère avait mangé du pain noir fait avec toutes sortes de choses, des ragoûts de chat, des pâtés et des salmis de rats et de souris; un jour on avait servi à table un magnifique et appétissant gigot de chien, mais cette viande avait une odeur si écœurante qu'elle avait dégoûté tout le monde.

 


Mes grands-parents n'étaient pas riches; autrement ils auraient pu acheter au Jardin des Plantes ou au Jardin d'Acclimatation de l'ours, du chameau, du buffle, de l'éléphant et bien d'autres bonnes viandes; mais tout cela coûtait extrêmement cher.

Les soldats de la Commune allaient de maison en maison; ils cherchaient tous les hommes pour les faire combattre dans leurs rangs ou les employer à construire des barricades. Alors mon père est allé à Bercy ; il s'est habillé comme un marinier et a pu ainsi quitter Paris à bord d'une péniche; il est retourné à Boissy où ma mère est venue le retrouver quelques semaines après avec moi et ma nourrice Reine.

La maison de mes parents avait été pillée et dévastée; on avait arraché les parquets, on avait brisé les meubles pour faire du feu ; les médicaments avaient disparu. On a été vivre dans une grande maison dont une partie avait été mise à notre disposition.

Une autre partie de cette maison était habitée par un monsieur âgé qui avait une propriété à Ferrières[7]. Étant allé dans ce pays avant l'hiver, il a vu, au château, Jules Favre et Bismarck. Il a cru alors qu'on allait avoir la paix et puis la guerre a encore duré.

Un appartement était occupé par l'officier qui commandait le régiment bavarois cantonné à Boissy; il était fabricant de porcelaine à Munich ; il n'était jamais venu en France et ne connaissait presque pas notre langue. 

 



Il avait, lui aussi, un petit garçon qui venait de naître et qu'il ne connaissait pas encore. En montrant sa photographie à mes parents et en me regardant il disait en français : « tous les deux, plus tard, chair à canon... toujours chair à canon » et cette pensée le rendait très triste[8].

Après cela il me prenait dans ses bras, me posait à califourchon sur son cheval et me maintenant d'un côté tandis que ma bonne Reine me soutenait de l'autre, il me faisait
faire, à cheval, et à ma grande joie, le tour du parc.

Un jour on entendit une formidable détonation.

Aussitôt les soldats grimpèrent sur le toit et dans le belvédère qui était au-dessus de la maison en criant « Paris capout... Paris capout... »[9].

Lorsque les ennemis quittèrent le pays, mes parents revinrent habiter leur maison.

J'ai écrit cela de mémoire et mon oncle l'a corrigé un peu, mais pas trop, m'a-t-il dit en riant. 

 


Extrait:  Pages 11 à 15 de Les Souvenirs d'un petit garçon, autobiographie, Berger-Levrault, 1942

 


[1] En raison de ce beau temps et de la chaleur qu'il faisait, la plupart des Parisiens employèrent leur dimanche à se promener dans Paris déjà troublé et ne votèrent pas aux élections municipales qui avaient lieu ce jour-là. Ces abstentions massives eurent pour conséquence la proclamation de la Commune.

[2] Le gouvernement, présidé par Thiers, s'était retiré à Versailles dès le 18 mars.

[3] Savant français acquis aux idées révolutionnaires : il fut tué pendant la Commune à la suite d'un combat.

[4] Chef-lieu de canton de Seine-et-Oise, arrondissement de Corbeil.

[5] 100, rue de Richelieu. C'est là que se trouve aujourd'hui l'hôtel du journal " LE JOURNAL " dont mon cousin fut longtemps un des collaborateurs.

[6] C'est ainsi qu'on appelait alors les Allemands. C'est seulement à Versailles, en 1871, que fut proclamé l'Empire d'Allemagne.

[7] Ferrières, commune de Seine-et-Oise. Des pourparlers de paix eurent lieu en
septembre 1870, dans le château appartenant au baron de Rothschild, mais ne furent suivis d'aucun résultat.

[8] En effet, le fils de cet officier a pu prendre part à la guerre de 1914-1918. En raison de sa classe de mobilisation, mon cousin n'a été appelé qu'en 1916 et a servi, jusqu'en 1917, à la section de camouflage de l'armée où il avait le rang de chef d'équipe.

[9] Un dépôt de munitions avait fait explosion du côté de Créteil.

Plus loin, page 104 du même ouvrage, il précise:

« j'ai remarqué une oie qui, avec son parapluie et son cabas, ressemble à la mère Pitanchou, la femme de ménage qu'on a surnommée Louise Michel parce qu'elle voudrait gagner plus de quatre sous l'heure."

Manifestement, la famille Laclôtre n'était pas communarde. Sur Gallica, une liste d'écrits anti-communards.

Alors qu'André Hellé évoque l'abstention pour justifier l'élection des partisans de la Commune, les taux de participation est identique à celui des élections de 1870 (plébiscite référendaire de mai 1870 exclu). Dans le quartier de Belleville, le taux de participation est de 60%. Il tombe à 40% dans les arrondissements plus bourgeois de l'Ouest. Les quartiers de Belleville et Ménilmontant sont parmi les premiers à se hérisser de barricades après la trahison puis la fuite des troupes de Thiers le 18 mars.

Barricade de la Chaussée Ménilmontant – 18 mars 1871 © Anonyme – Musée Carnavalet

Si les parents d'André Hellé avaient eu le loisir de régaler les papilles des convives de leur mariage au restaurant Lemardelay en Juin 1870,

facture de 1852

il était autrement plus compliqué de se nourrir pendant le siège de Paris. En décembre 2020, les enfants de Belleville meurent de faim et de froid. Aussi dans le moniteur du 21 décembre 1870, nous pouvons lire:

22 décembre 1870. source retronews.
 
Promenade au Jardin d'acclimatation. 
Imagerie d'Epinal.
vers 1868 - 1879. Paulin DIDION, éditeur.
collection du musée de l'Image.
 
A la fin du siège, tous les animaux du jardin d'acclimatation auront été mangés, y compris les célèbres éléphants Castor et Pollux. Pour aller plus loin sur le sujet de la subsistance pendant le siège de paris:  

collection: Laurent Nesly

Pour démarrer cette semaine autour de la Commune, des sites d'une extrême richesse, prévoir de longues heures de lecture.
 
La Commune de Paris, le blog de Michèle Audin.
La Commune de Paris, par Raspou.team.
La Commune 1871, par Jean-Paul Achard 
 

vendredi 1 janvier 2021

dimanche 22 novembre 2020

Qu'est-ce que c'est ? - Что это такое?

Une autre énigme à résoudre, cette fois du coté de la pédagogie soviétique. Un étrange album photographique à base de photomontages et de questions d'arithmétique. En règle générale la photographie aide l'enfant à deviner la réponse au problème mathématique posé. Ici, rien de tel. 

Peut-être que l'énigme est double? Réussir à trouver l'objet manquant sur la photo, voire la destination des objets présentés tout en trouvant le résultat du calcul à effectuer.

 

 




 
L'ensemble de l'enveloppe est visible ici
 
Qu'est que c'est?
Mikhail Gershenzon. 
Photographies: V. Gryuntal, G. Yablonsky
Raduga, 1932

mercredi 18 novembre 2020

Qu'est-ce donc que cet étrange objet ?

Sur le FB du Munaé, ce quizz... quel est cet objet, issu de ses collections?

Crédit: Munaé.

Réponse en image:



 

source: Digital library - University of Pennsylvania
 
Du matériel Montessori, pour que les enfants s'entrainent à lasser, boutonner. 
 
 

Source Etapes 225. outils pédagogiques. Page 177.
Enfance, dessins, objets, histoires – Littérature jeunesse, 
outils pédagogiques, illustrations, applications. Mai 2015.

"L’entreprise allemande Vereinigte Spezialmöbelfabriken a assuré la fabrication et la diffusion du matériel Montessori en Allemagne entre 1913 et 1935. Aujourd’hui, seules trois entreprises dans le monde sont autorisées par l’Association Montessori Internationale à reproduire ce matériel."

dimanche 15 novembre 2020

Alphabet Rivoire & Carret.

Vous souvenez-vous de ce jeu auquel nous jouions enfant ? 

"P... A... Pas de doute. Il manquait le T. Du bout de la cuiller, il fallait partir à la recherche de la lettre manquante, au milieu de la soupe aux poireaux. Tous les soirs d'hiver, on se retrouvait à jouer aux chiffres et aux lettres, sur le bord de l'assiette. Sous le regard vigilant de nos mères, ravies d'avoir trouvé ce subterfuge pour nous faire avaler notre potage."

Martine Orange pour Le Monde.  26 Août 1998: L'alphabet de Rivoire et Carret.

Qualité: Objets d'en France. 
Bernard Chapuis et Ermine Herscher. 
Photographies de Jean Boissonet. 
Editions du May. 1987. En vente ici.

Les propos de Martine Orange font écho aux souvenirs de Bernard Chapuis et Ermine Herscher, qui dans leur ouvrage, Qualité: Objets d'en France, introduisent ainsi l'article consacré au merveilleux subterfuge de nos mères.

"Dans la panoplie des brimades gastronomiques infligées à heures fixes (et après s'être lavé les mains), les mères attentionnées avaient le choix entre le foie de veau ou les endives, le chou-fleur ou la cervelle. Mais il existait une torture beaucoup plus raffinée, qui tout à la fois récapitulait une semaine de goûts médiocres et retapait le potage de la veille: c'était le tapioca, dont les particules transparentes sont tombées en désuétude. Heureusement venait le lendemain, moins cruel et plus encyclopédique, c'était le jour des pâtes alphabet. Nageant dans le bouillon ou la soupe, les vingt-six lettres réjouissaient les potaches. Les plus grands des enfants cherchaient au fond de l'assiette, pour les étaler sur le bord, les lettres qui serviraient à écrire des gros mots pour faire rire les petits. Les plus énormes n'étaient que des ariettes, tels popotin ou taratata. La pâte à alphabet a sans contexte toujours été signée Rivoire et Carret."

Et pourtant impossible de trouver la trace historique de ces pâtes alphabet chez Rivoire et Carret. Il y a bien les pâtes à potage ou le vermicelle fin, mais impossible de trouver un visuel ancien de l'alphabet. 

 
 RIVOIRE & CARRET - Publicité 1956. En vente ici. 
 
En revanche, la silhouette imaginée par Armand  Rapeño dont les esquisses ont été évoquées dans ce billet sont, elles, toujours bien présentes des années plus tard. Indéfectible fidélité entre la marque et l'artiste qui a façonné son identité visuelle. 
 

Publicité d'Armand Rapeno. Circa 1925. 
Vient compléter une série présentée ici.
 
Les potages mis en scène dans les publicités évoquent le vermicelle sous sa forme la plus basique alors que nous les retrouvons bien commercialisés aujourd'hui avec la renaissance de la marque. En 1987, à Marseille, quand l'entreprise tournait encore à plein régime, Bernard Chapuis écrivait : "les alphabets sont toujours façonnés dans des moules en bronze, plus précis que le téflon, employé à d'autres dessins, et capables de supporter une pression de 100 kilos au m2."
 

Extrait d'un catalogue de 1929. Bibliothèque Forney
 

Sur la chaine ouverte récemment par la marque pour les nostalgiques des publicités de notre enfance, nous retrouvons cette seule allusion à l'existence des alphabets.
 

Publicité Alphabet Rivoire et Carret :

mercredi 11 novembre 2020

Enfants de Paris ou d'ailleurs.

Dans l'article que Pierre Belvès consacre aux albums à colorier dont la première partie est présentée ici, disponible sur le blog Aux couleurs de Pierre Belvès, nous retrouvons une présentation de coloriages toujours édités par le Père Castor, cette fois à destination des enfants plus âgés. Si Premiers coloriages de Pierre Belvès s'adressent aux plus jeunes, jusqu'à 5 ans, ceux dessinées par Gerda Muller ont été conçus pour les moins de 15 ans.

 Enfants de Paris ou d'ailleurs. 8 frises à colorier dessinées par Gerda.
Père Castor - Flammarion. Coll. pers.

Le coffret comprend 8 leporello:

  • Amusons-nous
  • En musique
  • J'aide papa
  • J'aide maman
  • Les apprentis
  • Le jardin des plantes
  • A Paris dans ma rue
  • Le Luxembourg

C'est ce dernier qui est reproduit dans l'article ci-dessous et dont je partage quelques extraits. Nous reconnaissons dans les titres ci-dessus, ceux de frises en couleurs disponibles en plus grand format, toujours chez le Père Castor.

 

 Enfants de Paris ou d'ailleurs. Le Luxembourg par Gerda.
12 images à colorier
Père Castor - Flammarion. Coll. pers.

Le principe est le même que celui des grandes frises à colorier de Pierre Belvès. Un fond noir pour soutenir les couleurs choisies par les enfants. Pour les premiers coloriages, ce sont des fonds clairs et plutôt pastels qui avaient été retenus. 

"Les enfants de Paris. il ne s'agit pas ici de copier des modèles, ni de barbouiller de grandes surfaces. 

Cette suite d'images à peindre ou à colorier est faite pour exercer l’œil, la main, le goût. 

Complément indispensable du dessin libre, elle réserve beaucoup de plaisir aux petits et surtout aux plus grands (jusqu'à 15 ans et au delà). A chacun d'inventer la couleur.

A chacun de faire  de chaque page une œuvre personnelle. Le fond noir permet immédiatement des effets intéressants."

Enfant sirotant sa grenadine. Interprétation d'une des images de la frise du Luxembourg.  D'autres ci-dessous pour laisser libre court à l'imagination de vos enfants.


 
 
Guignol, promenade à dos d'âne, le manège.
Images de Gerda Muller. Frise à colorier, le Luxembourg.
Enfants de Paris ou d'ailleurs- Père Castor - Flammarion

mardi 10 novembre 2020

Pierre Belvès au Musée des Arts Décoratifs

A l'époque à laquelle les premiers coloriages sont publiés, Pierre Belvès crée l'atelier des moins de treize ans au sein des Arts Décoratifs avec l'aide et le soutien de Yolande Amic et François Mathey.

 

Nous pouvons retrouver des clichés et la chronologie de cette aventure sur le site du Mad.

 

 

Également mentionnée sur sa page FB, le reportage photographique et le court métrage qu'Agnès Varda réalisa sur les enfants. 

Pour en savoir plus, je vous invite à écouter la causerie de Caroline Belvès, assistante de Pierre Belves qui raconte avec force d'anecdotes la pédagogie de l'artiste, notamment au sein de l'atelier. Fichier audio n°2.